• « La COP 21, début ou fin des communs ? »

    Bettina Laville, Conseiller d’Etat, Directrice de rédaction de la revue « Vraiment Durable »

    Le climat est un bien commun. Le bien commun est un climat viable pour l’humanité en tant que donnée géophysique évolutive. La Convention sur les changements climatiques, la Conférence de Rio, les nombreuses COP, le Protocole de Kyoto, l’Accord de Paris peuvent être interprétés comme une manière de conserver la viabilité du climat. En matière d’environnement, il existe deux écoles : le bien commun au sens de patrimoine commun de l’humanité selon les textes sur la biodiversité ; l’élargissement à des biens communs autres qu’environnementaux, ou sur toutes les notions autour de la santé. Par exemple, les pays en voie de développement ont signé l’accord de Paris du fait des désastres à venir, mais également parce que la santé fait bouger des pays comme la Chine.

    L’Accord de Paris conforte-t-il la théorie du climat comme bien commun ?

    Il s’agit d’une extraordinaire tentative de créer un bien commun qu’est le climat viable pour toute l’humanité. L’Accord de Paris se compose de deux textes distincts : la décision de la COP et le traité. Avec cette nationalisation des efforts climatiques, y a-t-il un enrichissement ou un éloignement de la notion de bien commun ? On observe une responsabilisation des Etats par rapport à leurs émissions, puis une nationalisation et une prise en charge par les pays. Ces derniers ne sont plus souverains au sens de Kyoto, c’est-à-dire de pouvoir accepter ou refuser un quota, mais aujourd’hui ils sont tenus de faire leur possible. Nous assistons à une nationalisation du bien commun : rendre compatible le climat viable, la justice climatique, la santé, la protection sociale, ce que l’on est pas parvenu à faire au niveau global.

    Est-ce que cette méthode qui consiste à nationaliser sauve ou a des chances de sauver ce bien commun qu’est le climat ?

    Les études concluent que l’addition des contributions ne permet pas de respecter les 2°C, mais aboutissent à 3 ou 3,3°C. Il faut avoir à l’esprit que 1,5°C – 2°C n’est pas un optimum et se demander si l’Accord de Paris sauve ce bien commun qu’est le climat viable :

    • Par l’accord lui-même ;
    • Par le différentiel de 1°C ;
    • Par la « Responsabilité Sociale Climatique » : la responsabilité donnée aux Etats n’exclut pas la société. Tous ces textes de Convention étaient totalement étatiques et onusiens. Au sein du chapitre consacré aux acteurs non étatiques, la mission de ce 1°C différentiel leur a été donnée subrepticement. C’est l’invention du « traité schizophrène ».

    L’Accord de Paris est intéressant pour les communs car il renonce à la conception d’un climat, bien commun global ou à la viabilité du climat à atteindre de manière globale. C’est une renationalisation de tous les efforts en reconnaissant qu’ils ne suffisent pas, il fait appel au moins pour 1°C à la société civile, qui a répondu et s’est mobilisée pour ce sommet de Paris bien avant les Etats ; car dès 2013, l’ensemble des entreprises ont bâti des coalitions et les villes se sont alliées pour prendre des engagements au niveau territorial. Un appel à la territorialisation du bien commun climat viable est lancé, puisque l’appel aux villes et aux territoires aboutit à une re-territorialisation spontanée en dehors des Etats. Il s’agit d’échanges de bonnes pratiques en-dehors de tout carcan politique.

    Une autre nouveauté à partir du territoire et des bonnes pratiques est que le traité admet que des pays qui peuvent faire plus que les autres s’allient, c’est la « coalition des champions ». Une première coalition est composée du Brésil, France et du Maroc qui pourraient se lier avec des ONG et des entreprises. On assiste à une fabrication de bien commun à partir d’autres formes de coalitions, ce qui rend complètement caduque le projet d’organisation mondiale de l’environnement dont on pouvait considérer qu’elle incarnait le bien commun.

    Il existe une possibilité de faire progresser le bien commun, car une ou deux organisations peuvent transgresser les lois de l’OMC tandis que groupées elles ne le peuvent pas. Le Protocole de Kyoto fixe des objectifs de diminution des gaz à effet de serre de 8 à 10% en vue de réduire les émissions globales de 5% dans la période de 2008 à 2012. Même si cela est très difficile et cela a aidé les pays en voie de développement, cet objectif global était le symbole que nous n’avions qu’une Terre en partage et un seul climat. Cependant il y avait un objectif mondial qui rendait sensible qu’il existait une atmosphère commune.

    Après Copenhague, la plateforme de Durban a été prolongée jusqu’en 2020 alors que dans la Convention les Etats s’engageaient à stabiliser les concentrations de gaz à effet de serre à un niveau empêchant toute perturbation anthropique globale. A Lima une contribution nationale renforçant l’action des pays et une ouverture aux acteurs non étatiques ont été prévues. Le portail Nazca réunit 186 pays qui ont fait un travail interne. Tout le travail actuel consiste à mettre au point des contributions solides et une méthode commune.

    L’uuniversalité de l’accord : 

    • Plus de climato-sceptiques, le rôle de la science n’est plus contesté. Les pays doivent proposer des contributions et les réviser tous les 5 ans à partir de 2023. Or, la période de 2015 à 2020 est cruciale pour les scientifiques. Les études récentes montrent que le puits de carbone s’épuise : exactement comme l’océan, la forêt amazonienne primaire est à saturation du fait de la diminution de taille des arbres alors que la reforestation n’a pas lieu. A partir de 2050 le traité parle de neutralité carbone : tout le carbone émis doit être absorbé par les puits ce qui exige une re-fertilisation des sols, un reboisement et une maîtrise de l’acidification des océans.
    • Abandon de la « théorie du stock commun » et des objectifs communs. C’est un rendez-vous international, mais il n’y a pas de mécanisme de mise en place d’un instrument en cas de dépassement des objectifs. Le mécanisme de tarification carbone est le meilleur instrument pour conserver le climat bien commun. L’oubli de l’esprit de Stockholm, c’est-à-dire la notion de bien commun gratuit inestimable est une conséquence de la transition verte. Le moyen de conserver la biodiversité est de lui donner un prix alors que la nature, le climat n’ont pas de prix. Ce qui est inestimable ne doit pas être estimé et donc doit être protégé. La réponse de ces sommets est de donner une valeur économique à toutes les composantes de la planète ce qui va permettre d’en tirer un profit.

    7000 régions, provinces ou villes ont pris des engagements. 11 villes chinoises ont annoncé un pic des émissions en 2020, 18 villes américaines doivent atteindre la neutralité carbone en 2050, 1000 maires s’engagent sur 100% d’énergies renouvelables.