« Les Communs, l’Etat et le Marché comme Système »
Présentation des journées d’études 2015-2016
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Danièle Bourcier (CERSA), Gilles Hériard Dubreuil (Mutadis), Sylvain Lavelle (ICAM)
CERSA – Fund for Democratic Culture – Institut Hyles
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L’Etat et le marché constituent les deux institutions fondamentales de la modernité pour la gouvernance et la propriété des biens au sein des activités sociales. Il est courant d’opposer la puissance publique de l’état et la puissance privée du marché, chacune étant supposée avoir son territoire propre. A l’état, les fonctions de gouvernement et d’administration de la société, de police et de justice, auxquelles sont venues se rajouter au fil du temps d’autres fonctions, liées notamment à l’essor de l’état social. Au marché, les fonctions d’entreprise, d’échange selon l’offre et la demande, de production et de consommation de la richesse…
Le conflit entre ces deux institutions fondamentales est mis en scène de façon chronique au cours de l’histoire dans des conflits idéologiques qui opposent, par exemple, les partisans du socialisme et ceux du libéralisme. Mais cette polarisation idéologique masque le système d’intérêts bien compris entre les acteurs du marché et ceux de l’état, qui contribuent tous les deux à une relégation du commun. Il existe en somme un système ‘Etat-Marché’ dont les acteurs se partagent l’administration et la gestion des biens, distingués au plan du régime de propriété en biens publics et en biens privés. Or, il s’agit désormais de pouvoir situer les communs (et le commun) au sein de ce système bipartite qui souffre de nombreuses carences et produit à l’occasion de sérieux dommages pour la société et ses membres. Il ne s’agit pas simplement d’une option théorique, mais bien d’une nécessité pratique, compte tenu de la révolution qu’entraîne la rareté des ressources et l’ère du numérique – particulièrement nette dans l’impératif de transition énergétique, par exemple.
L’émergence ou plutôt le retour des Communs à notre époque intervient dans un contexte de questionnement de l’Etat et du Marché, de leurs rôles, de leurs puissances et de leurs performances respectifs. Pour réfléchir à ce problème, on peut partir d’une approche classique qui s’interroge sur l’efficacité ou la justice de tel ou tel système d’administration ou de gestion (l’état, le marché, ou le commun ?) et de tel ou tel système de propriété (les biens publics, les biens privés ou les biens communs ?). Mais on peut aussi partir d’une approche non classique dans laquelle on pose l’existence d’un système de biens premiers (les biens des personnes et les biens du milieu) afin de re-construire ensuite les systèmes de propriété, puis d’administration et de gestion qui leur correspondent.
Ces deux notions de biens méritent quelques explications, car elles ne peuvent se réduire à une acception strictement juridique. Les biens des personnes, ce sont ce que les personnes tiennent pour des biens (matériels ou immatériels), tandis que les biens du milieu, ce sont les ressources potentielles (matérielles ou immatérielles) que recèlent la nature ou la société. Ces biens sont considérés ici quel que soit le système de propriété, d’administration ou de gestion en vigueur. Les êtres humains sont des êtres de relation qui vivent dans et par la relation d’interaction ou de transaction avec leur milieu naturel et social. Ils identifient dans le milieu des ressources qui sont interprétées à leurs yeux comme des biens, lesquels, par-delà leur valeur d’usage ou leur valeur d’échange, peuvent avoir une valeur d’existence. Par exemple, dans le cas des éléphants d’Afrique, je ne vais pas consommer leur chair, ni la vendre ou l’acheter à autrui, mais je souhaite que cette espèce menacée de disparition continue d’exister : c’est sa ‘valeur d’existence’.
C’est à partir de ce système des biens premiers, en inversant la logique usuelle, qu’on peut reconstituer les différentes modalités des systèmes de propriété (biens publics, privés et communs) et des systèmes d’administration et de gestion de ces biens (état, marché, communs). D’un point de vue historique, on peut alors constater une alternance ou une combinaison entre des systèmes de propriété, d’administration et de gestion successifs. Ces derniers privilégient tantôt le public et l’état, le privé et le marché, avec une place et une marge fluctuantes pour le commun et les communs. Avec l’émergence des communs à notre époque, il convient désormais de passer à un système non pas dyadique, mais triadique, où les communs apparaissent comme une voie complémentaire ou alternative.
Il s’agit dans ces journées d’étude de réfléchir à la place du Commun au sein du système tripartite qu’il forme avec l’Etat et le Marché.
Voir Les trois cercles du système de gouvernance : administration/gestion, propriété, biens
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