« L’émergence de l’économie collaborative »
Laetitia Vasseur – Présidente de Halte à l’Obsolescence Programmée 1
L‘économie collaborative est-elle une alternative au capitalisme ou découle-t-elle du modèle ultra-libéral ? Une approche constructiviste est adoptée afin d’analyser les acteurs d’une notion émergente, un système de pensée. L’exemple de « Ouishare » a été choisi, il s’agit d’une coalition de divers types d’acteurs :
- Entrepreneurs de l’économie numérique ;
- Plateforme ou e-commerce ;
- Ecologistes apportant une caution critique. Don, troc, réemploi, discours autour de la promesse de réduction de l’empreinte écologique. Pour certains chercheurs, cette économie remet en cause la surconsommation. Des études ont révélé que les plateformes ont permis un accès renouvelé aux biens, sans consommer moins, et l’empreinte écologique n’est pas forcément réduite. La politique de l’achat et de la consommation demeure ;
- Acteurs associatifs.
Ce collectif diffuse un message, sortant de la catégorie purement économique à travers l’idée de changement du monde et d’un nouveau modèle de société. Il s’agit de jeunes de moins de 30 ans, dotés en capitaux culturels et économiques, formés dans des grandes écoles, appartenant aux élites, ayant été socialisé à l’international et faisant un usage dense des outils numériques. Ils possèdent une culture peu militante et peu politisée. Leur déception liée au monde du travail a impacté le discours de l’économie collaborative. Ils ‘approprient des réseaux larges, ce qui engendre un flou et une diversité qui n’est pas rassemblée par un dénominateur commun tangible. Cette nébuleuse fait vivre l’économie collaborative sans pouvoir mettre de définition précise. Le « Ouishare Fest » est un festival de trois jours, cher à l’entrée, organisé pendant la semaine, donc ouvert essentiellement à des entrepreneurs.
Nous assistons à l’avènement d’un troisième esprit du capitalisme par un glissement de la notion de propriété. Avec l’économie collaborative, la propriété de l’usage prédomine. Cela va jusqu’à l’identité de soi par le développement de sa personnalité, de la quête d’identité et de libération, la recherche d’autonomie. Le capitalisme est critiqué car il a créé des dérives vers l’individualisme et un asservissement de personnes via le travail. En même temps, le capitalisme se régénère de cette critique par l’achat et la vente de l’immatériel, une accumulation de biens difficile au niveau économique et écologique. L’usage est financiarisé et joue sur un potentiel économique important.
Une logique de location apparaît : chaque personne n’est plus salariée mais entrepreneur de sa vie. Elle peut louer ses compétences et les proposer sur des projets particuliers. C’est un facteur de libération du travailleur qui devient possesseur de lui même. Les formes de travail sont plus flexibles par un accroissement du freelance. Il n’y a plus de cotisation patronale aboutissant à une précarisation du travail. C’est une véritable promesse de la libération des individus par Internet. Il s’agit d’une volonté de reprendre le pouvoir grâce au numérique, qui ne sera plus au sein des hiérarchies politico-administratives. Le capitalisme renaît de la critique en promettant une libération individuelle. C’est un renforcement de l’individualisme, au sein duquel l’individu est au cœur du processus et demeure le facteur de changement.
La conception générale qui se dégage est libérale. L’Etat doit être un partenaire et non un ordonnateur. L’action doit venir de l’individu. Les questions de service public sont rapidement questionnées. Comment l’acteur public peut-il se positionner face à l’interrogation de son rôle ? Il peut y avoir un intérêt par le financement des espaces de co-working, ce qui lui permet de se renouveler.
1 Ce texte reprend l’exposé oral présenté par Laetitia Vasseur au séminaire « Les communs, l’Etat et le marché comme système » du 25 septembre 2015.