• Jacques Chevallier – Professeur de droit public, Université Paris II Panthéon-Assas 1

    Question de l’Etat en cause, mise en relation de l’Etat et et du tiers secteur, qui évoque les communs comme notion en tension entre le marché et l’Etat. Le design désigne un processus de conception d’objets singuliers uniques caractérisés par une esthétique novatrice appliqué à la création industrielle. Le design recouvre le problème de la conception de l’objet – dessin – et ce à quoi est destiné l’objet – dessein. Il procure une satisfaction à l’utilisateur, qui est mis au cœur même de l’approche.

    Le design s’est imposé comme méthode de conception dans les produits et services d’entreprise. Il s’est également imposé dans les services publics et les politiques publiques. Il s’agit d’une approche alternative mettant l’usager au cœur même des politiques publiques. L’application du design à l’intérêt général modifie ses conditions de formation. Une transformation des politiques publiques et de la manière dont sont décidés les choix collectifs s’opère. Dans quelle mesure y a-t-il remise en cause des conceptions classiques de l’intérêt général ? La conception en France est singulière, comparée à la tradition anglo-saxonne. L’intérêt général doit prévaloir contre les intérêts privés et particuliers.

    La remise en cause actuelle se caractérise par trois mouvements essentiels de redéfinition de l’intérêt général :

    – Remise en cause de la conception « top-down » de l’intérêt général

    Il s’agit de la conception traditionnellement dominante en France et donnant à l’Etat le monopole de la définition de l’intérêt général, hors de la pression des intérêts particuliers et devant s’y imposer. Aujourd’hui, les acteurs sociaux sont invités à participer à la définition de l’intérêt général. Des moyens existent pour surmonter la crise de l’intérêt général : présence plus active des citoyens dans les rouages politiques, pouvoir d’intervention des administrés dans la marche des services publics, construction d’espaces de délibération avant que les politiques publiques soient arrêtées. L’intérêt général est le produit d’une confrontation à laquelle différents acteurs sociaux sont appelés à participer. La définition passe par un processus de participation avec mise en place d’une démarche « bottom-up ».

    – Remise en cause du bien fondé de principe de l’action publique

    Dans la conception classique, il suffisait d’invoquer l’intérêt général pour doter l’action publique d’un bien-fondé de principe. Ce mécanisme de légitimation est très clairement en crise. Il faut que la gestion publique apporte la preuve concrète de son efficacité à partir des résultats obtenus. En découle une promotion du thème de l’évaluation, afin de porter un regard froid et lucide sur la gestion publique. L’Etat est tenu de rendre compte, de se soumettre au jugement public, de tenir compte des résultats des politiques menées. Un développement des procédures d’évaluation au niveau national et local se produit : évaluer le droit, remise en cause de la mystique de la loi. En parallèle, un développement de processus d’expérimentation a lieu. Une réforme doit être mise à l’épreuve avant d’être appliquée.

    – Remise en cause de l’idée selon laquelle l’Etat est le moteur du changement social

    L’Etat devait penser l’avenir de la société et en prendre les moyens de réalisation, à l’instar de la planification de l’économie. Prévaut au contraire désormais l’idée selon laquelle l’innovation

    passe non par des politiques volontaristes mais par des pratiques nouvelles qui ne viennent plus du cœur de l’Etat mais de la périphérie de l’appareil et de la société civile. Toute innovation implique une action pionnière d’une personne ou d’un acteur collectif. Ces pionniers sont désignés par les termes d’innovateurs, promoteurs, designers, qui avancent des idées nouvelles impliquant une déviance, une transgression par rapport à l’ordre existant. Cette action pionnière ne suffit pas, ces innovations doivent être appropriées par les entités collectives, par l’Etat. La définition de l’intérêt général passe par le développement de processus d’innovation provenant de la périphérie de l’Etat ou de la société civile. Les trois éléments distingués sont indissociables : le recours aux procédés de participation permet d’utiliser la capacité de participation des innovateurs. L’innovation doit être mise à l’épreuve par l’expérimentation et l’évaluation.

    Qu’en conclure ?

    Ces mutations ne signifient pas l’abandon de la notion d’intérêt général. Il reste un principe fondamental de légitimation du pouvoir dans les sociétés contemporaines. Cette notion va au-delà de l’Etat, tout pouvoir est tenu de se présenter comme justifié par l’intérêt général du groupe. Une conception différente et plus souple des conditions de formation de l’intérêt général coïncide avec série de facteurs plus généraux d’évolution des sociétés. Les agents publics déploient des stratégies, ce n’est pas le produit miraculeux de l’action du politique ou de l’administration, il fait l’objet d’une construction. La mise en œuvre des solutions innovantes n’exclut toutefois pas le recours aux méthodes classiques et à l’appareil bureaucratique. L’intervention du décideur politique demeure nécessaire, c’est la limite structurelle de ce design de l’intérêt général.

    1 Ce texte reprend l’exposé oral présenté par Jacques Chevallier au séminaire « Les communs, l’Etat et le marché comme système » du 10 avril 2015.