• « Expérimenter des communs, instituer du commun »

    Pascal Nicolas-Le Strat, Maître de conférences, HDR en sociologie 1

    Comment vivre le désaccord ? Je mène des recherches sur la construction de l’engagement critique dans la société et travail, autour de collectifs qui expérimentent des manières de vivre différentes, pour marquer une distance vis-à-vis des institutions existantes. Je me concentre sur deux lieux de recherche : 

    • Les friches. C’est un phénomène qui a lieu durant les années 1990 lié à des personnes ayant une sensibilité d’artistes. Les usines et les garages qui fermaient étaient occupés par des artistes ayant besoin d’espace et d’un engagement de création en collectif. Le label « nouveau territoire de l’art » a été instauré par les pouvoirs publics, mais il a connu peu de succès. Il s’agit d’occupation illégale de friches ou de mises à disposition de vieilles fabriques par des élus.
    • Les squats. Ce sont des lieux de vie en terme d’habitat, d’hébergement et d’activité. Une dissociation de ce qui est de l’ordre de la construction collective et des occupations s’opère. Il s’agit de jeunes politisés avec des idéaux, mais pas d’appartenance libertaire dans une radicalité anarchiste. Ils ont un rapport pragmatique au squat et une présentation formaliste de projets. Le travail réside dans un récit de vie collectif. L’histoire se fait très souvent du point de vue des majoritaires. J’ai donc cherché à découvrir la vie d’un squat de 30 personnes organisé uniquement sur la base de récupération.
    • Les collectifs faisant le choix d’une autonomie d’activité. Ils saisissent des niches économiques (bar, auberge, boulangerie, verger, …). Un renversement du stigmate du surnuméraire s’opère et les niveaux de revenus sont faibles.

    Je recours à la méthodologie de la recherche-action : c’est une manière d’accéder à leur manière de travailler, d’une rencontre de semblables, en effet il s’agit d’une fraction de jeunesse intellectualisée à haut niveau de qualification universitaire. Il faut sollicite la recherche en sciences sociales pour mesurer à quel point les sujets abordés sont critiques, en parallèle d’une véritable défiance vis-à-vis des institutions, qui peut englober les universités et la connaissance. Les écueils résident dans l’aspect de la distanciation. Où la recherche doit-elle s’engager aujourd’hui ? Il existe une volonté de jeunes chercheurs de ne pas rentrer dans un schéma classique.

    Quelle définition du collectif adopter ? La question du commun émerge depuis trois ans. Cette notion oblige du fait de l’engagement de l’environnement intellectuel. C’est la fin du cycle anti mondialiste et du rapport critique frontal. Dardot et Laval ont travaillé à une réintroduction du commun comme élément manquant au rapport de force. De plus, les collectifs s’en saisissent, cette catégorie fait sens pour eux. Mais alors , faut-il mobiliser cette catégorie dans le cadre de ces recherches ?

    La notion de commun a acquis une acuité qu’elle ne possédait pas il y a quelques années. Un raisonnement en termes de collectif est tenu : pour éviter de le durcir ou de le réduire à un sujet, le collectif désigne des processus liés à l’activité. Il renvoie à des formes de gouvernance. Il faut identifier des processus qui participent de ce mouvement collectif. Par exemple, un collectif en montagne qui reprend une auberge constitue trois types de communs : il communalise le temps, la ressource financière et le savoir-faire. La communalisation est un ensemble permettant la construction du collectif.

    * Savoir-faire : obligation de tenir une activité. En l’occurrence, l’inscription dans un réseau avec une boulangerie. La formation de certains est assurée pour épauler le maillage d’activités.

    * Argent : il n’y a pas de communalisation du salaire, car il ne provient pas de la dynamique du groupe. Il s’agit d’une réalité difficile car cela renvoie à l’externalité par rapport au groupe. La compétence de chercheur peut réintégrer la dynamique de l’activité. Dans certains cas, l’argent est non légitime car il provient d’une institution rejetée.

    * Temps.

    Le commun est éprouvé, au sens sensible et d’une expérimentation. L’accueil de l’épreuve en terme affectif est présent avec une dimension de bienveillance à la personne. Un « care » est assumé entre les membres du collectif, avec une réelle préoccupation qui n’existait pas dans le militantisme des années 1970. Le commun est encastré dans la communauté : commun, communauté et territoire. L’accueil de la vulnérabilité par la communauté de vie est essentiel. Un glissement de collectif à communauté de vie s’opère.

    S’agissant du rapport au territoire, il y a un besoin d’encastrer l’activité dans la société. Le schéma avant-gardiste de l’art est abandonné, il y a un désir d’engagement de l’art dans la vie. La communauté est attentive à son environnement. Dans de rares exceptions, un rapport critique par rapport à la dynamique d’ensemble de la métropole s’établit, par exemple avec la volonté de créer des espaces libres de jeu pour les enfants dans un quartier. Le plus souvent, je rencontre des décideurs effarouchés et démunis, ils sont mis en inquiétude du fait du décalage par rapport à des systèmes de référence et mis en doute car les outils à leur disposition ne permettent pas de répondre à ces attentes.

    La question du rapport à la légalité se pose également. Selon Dardot et Laval, les commun est une « institution continuée » : il faut prendre en main un processus d’institutionnalisation qui se réouvre et déployer une ingéniosité pour faire perdurer un ensemble inhabituel. Il convient également de s’appuyer sur des filiations théoriques pour défendre cette dimension de vie collective qui sont autant de ressources en terme de légitimation intellectuelle.

    Je propose d’introduire une notion corrélée : « le travail du commun », qui désigne des savoir-faire émergents dans la capacité à instituer et à gouverner le commun. Il s’agit d’un passage du travail du social au travail du commun. Produire ce qu’est notre société : qu’est-ce qu’un travail du commun peut apporter au travail du social laminé par l’angle individualiste des politiques du social ?

    1 Ce texte reprend l’exposé oral présenté par Pascal Nicolas-Le Strat au séminaire « Les communs, l’Etat et le marché comme système » du 27 février 2015.