• « Le capitalisme sans répit ou les métamorphoses du capitalisme »

    Jean-Michel Saussois, Docteur en sociologie, Professeur Emérite, ESCP Europe

    Tout système social contient des invariants pour l’action en fonction des buts, ce qui suppose une intériorisation des normes qui doivent être acceptées implicitement. Je vois le capitalisme comme un système qui renaît de ses cendres perpétuellement. Il est une imbrication de niveaux enchevêtrés sur lesquels agissent des forces organisationnelles. Je propose d’entrer dans une description épaisse pour comprendre comment le capitalisme se rétablit en permanence et réussit à survivre à des crises qui devraient être mortelles.

    Je fais la prédiction du fait que l’économie du savoir ne connaîtra pas de tragédie des communs. Les barbelés seront les droits de propriété intellectuelle. Callon et Latour estiment que la caractéristique du capitalisme est de porter le marché à son comble. On assiste à une transformation de l’Etat par les communautés d’action. La mondialisation du tiers secteur est le contre-poids unique de la mondialisation des marchés. Marchandiser le non marchand explique la dynamique continue du capitalisme. Le champ économique est sans fin et la hantise du capitalisme est de se laisser enfermer dans un cadre au sein duquel tout est à vendre. Il y a un report des externalités négatives du privé vers le public et une absorption continue des externalités publiques vers le privé : ce double mouvement influe sur la recherche, l’éducation et l’environnement.

    Un dirigeant est un quasi homme d’Etat. Selon Schumpeter, le capitalisme s’est auto-détruit à travers ces mécanismes de principal-agent. Les grandes entreprises ne produisent pas d’efficacité dans un espace vide : elles ne se développement pas sans arrangements politiques et sociaux. Les grandes organisations sont des institutions sociales : non seulement elles fabriquent de l’activité, mais aussi des images publiques. L’économie double en permanence le politique et réciproquement. Le concept d’« entreprise-citoyenne » renvoie à la prolifération d’intentions des grandes entreprises vis-à-vis du sociétal, notamment de développement durable. Selon Milton Friedman, la RSE n’est que cosmétique. Les grandes entreprises prennent au sérieux la RSE, pour sortir les citoyens d’une alternative entre la croissance et la pollution ou la stagnation et l’environnement. Elles parlent de plus en plus comme des hommes politiques et ces derniers parlent de fins et de moyens dans un échange de langage flagrant. Nous assistons à une inversion des rôles avec le langage gestionnaire du politique et la stratégie géopolitique du chef d’entreprise. Le dépassement des contradictions arrivera pour les marxistes. Si il n’y a pas de dépassement des contradictions, il y a une tension permanente entre ce qui va advenir et n’est pas encore advenu. 

    1 Ce texte reprend l’exposé oral présenté par Jean-Michel Saussois au séminaire « Les communs, l’Etat et le marché comme système » du 29 janvier 2016.