•  « La dimension des communs dans le contexte du changement climatique »

    Claude Henry – Professeur, Sciences Po Paris, Université Columbia 1

    Abbaye de Citeaux : « le moine cistercien habite le monde comme un hôte, il veille à traiter ce qui lui est confié avec égards ». Dans les écrits économiques dominants, les communs apparaissent peu, la notion de bien public est beaucoup plus présente. Le concept est précisé par Jefferson dans le contexte de la propriété intellectuelle par une propriété fondamentale de non-exclusion des biens publics. Avec Elinor Ostrom, le rapport bien public – commun est éclairci. Les « Common Pool Resources » ont la caractère de biens publics, mais ils sont l’objet de mécanismes de gouvernance. En ce sens, il y a commun au-delà de la simple caractéristique de bien public.

    Le changement climatique est le plus gigantesque effet externe que l’humanité ait jamais connu et l’ultime bien public auquel l’humanité soit confrontée. Dans les années 1980, les Suédois étaient de plus en plus préoccupés par la pollution atmosphérique. Les forêts de conifères et les lacs y sont naturellement acides. L »acidification supplémentaire a créé les conditions qui prévaudront de manière générale dans les océans. Pendant dix ans, les Suédois se sont questionnés sur les moyens de faire face. Le gouvernement social-démocrate souhaitait mettre en place des normes et des interdictions en appelant au sens civique des Suédois. En 1988, lors des élections législatives, au sein du parti des Verts, le nouveau président a souhaité utiliser les taxes sur les pollueurs : changer les incitations et non la part du Produit National Brut qui va à l’Etat. 

    Toutes les formes de dommages au capital naturel ont donc été taxées : les émissions dans l’air, la pollution de l’eau, l’usage d’engrais par les agriculteurs, le mauvais traitement des déchets. 7% du PNB a été transféré à des taxes sur les diverses composantes du capital naturel. Y compris une taxe sur le CO2, fixée initialement à un niveau modeste de 17€ par tonne, aujourd’hui fixée à 120€ par tonne. Il s’agit d’un double dividende : les pollutions ramenées à un niveau plus raisonnable et les réductions des impôts qui créent des distorsions dans l’économie. La loi déterminait les objectifs à atteindre : diminuer de 70% la pollution de l’air par le souffre en 1990 et 2000.

    La taxe sur le CO2 a été augmentée le long de la trajectoire annoncée. La Suède a été imitée par la Norvège et la Finlande et dans une plus faible mesure le Danemark et les Pays-Bas. Quand une taxe sur le CO2 est suffisante pour se répercuter et avoir une action incitative, elle est régressive. On ne peut traiter le climat avec des instruments économiques que si on les insère dans une politique publique ayant une portée fiscale et générale suffisamment large. On ne mobilise pas une population seulement de manière négative par des prix. Il est nécessaire d’établir des objectifs et des valeurs partagés pour mobiliser de manière positive.

    En 2000, l’alliance démocrates-verts a été défaite par les partis de droite. Un comité multi- partisan du Parlement gère le sujet du climat. L’objectif général de la politique environnementale est de laisser aux populations futures un environnement sain. Du point de vue de la contribution au climat, la taxe CO2 a commencé à changer les comportements, en particulier celui des entreprises, après dix ans d’application. En 2030, il est prévu qu’il n’y aura plus que 20% des véhicules utilisant des combustibles fossiles, à condition que les progrès dans le domaine des biocarburants se confirment. Si toute l’humanité appliquait les mêmes politiques que les Suédois, il n’y aurait plus de problème climatique, mais il y a 1 suédois pour 148 chinois.

    A tous les échelons de la sophistication technique, il y a des instruments efficaces susceptibles de progrès dans des horizons de cinq à dix années. C’est une rampe de lancement d’une économie pouvant vivre sur le renouvelable. En Inde, on assiste à l’utilisation de la balle du riz (husk) fermentée pour produire du gaz puis la production d’électricité avec une turbine à gaz.

    1 Ce texte reprend l’exposé oral présenté par Claude Henry au séminaire « Les communs, l’Etat et le marché comme système » du 25 septembre 2015.