• « Une définition extensive des communs informationnels : contours et dynamiques » 

    Mélanie Dulong de Rosnay – Institut des Sciences de la communication du CNRS 1

    Quelle gouvernance pour l’information et les communs ? Quels sont les contours de cette définition du commun, peut-elle s’enfler en mettant tous les éléments sous la bannière des biens communs ? Il faut rappeler la signification des communs : en 2003, le CERSA a créé la déclinaison française de « Creative Commons », à l’époque où cette notion était peu étudiée. Désormais, il faut donner sa définition des communs, ce qui aboutit à un éclatement et à une individualisation de la notion de commun.

    Nous portons un projet de label et d’information juridique proposant une alternative au droit d’auteur exercé pleinement pour donner plus de droits aux utilisateurs d’oeuvre. Il s’agit d’un regroupement en Europe sous le réseau « Communia » créé en 2007, qui a aboutit à la production d’un délivrable supplémentaire : « Manifeste pour le domaine public ».

    Sous la bannière du domaine public tel que défini par « Communia », il existe quatre types de domaines publics :

    • Une définition du droit d’auteur au sens strict : il n’existe pas de définition du domaine public en droit à part au Chili. Il recouvre les œuvres qui ne sont plus couvertes par le droit d’auteur, car l’auteur est décédé depuis plus de soixante-dix ans. Il y a eu une extension pour Walt Disney par exemple.
    • Une deuxième définition – le fonds commun : ce qui n’entre pas dans le droit d’auteur. Idées, faits, données brutes, algorithmes.
    • Les créations entrant dans un domaine public anticipé ou amputé par le choix des auteurs d’utiliser une licence « Creative Commons ».
    • A l’intérieur de la définition du monopole, les espaces de liberté qui se multiplient à travers les exceptions ou limitations au droit d’auteur.

    Première limite interne : la tension entre les données personnelles et le droit d’auteur 

    Appliquer l’un ou l’autre régime ne permet pas de résoudre les questions liées à l’appropriation des données publiques. Il faut établir une distinction opératoire qui permet de sortir du droit d’auteur pour l’appliquer aux données personnelles. Le mouvement du droit d’auteur a été subverti avec les logiques « open data » et de bonne gouvernance. Il s’agit de discussions insolubles entre le partage des informations qui contiennent des données personnelles et l’attention à l’appropriation des données. Le croisement des données permet de supprimer l’anonymisation. Face au danger pour la vie privée, il existe un risque de limitation volontaire par les Etats des bases de données.

    Deuxième contradiction interne : les communs comme mode de gouvernance

    Nous assistons à une reconfiguration des alliances stratégiques au niveau international avec des communautés travaillant sur l’accès à différents éléments (médicaments, connaissances, coutumes traditionnelles). Ces alliances stratégiques entre des communautés ont pour objectif d’avoir un engagement militant pour la production et la préservation de communs. Il s’agit d’identifier les politiques publiques et les politiques des communautés fonctionnant pour produire, préserver et distribuer des communs par le droit et par la technique, ainsi que de repérer les transformations de la régulation et la manière dont la technique peut être mise au service du droit. Des infrastructures techniques et des protocoles techno-juridiques peuvent aider pour la protection des communs, comme le révèle l’utilisation des symboles « Creative Commons » pour signaler un espace de liberté.

    Quelles sont les barrières au partage ?

    – Complexité juridique, conflit entre les normes.

    – Manque de connaissances des interfaces techniques ou charge de travail pour la mise à disposition des données.

    – Blocages d’ordre culturels, psychologiques. Les blocages culturels demeurent malgré l’obligation éthique et morale de partager.

    Les informations publiques, les œuvres dans le domaine public et les données scientifiques produites par les chercheurs dont une large majorité détient des financements publics représentent les trois terrains permettant de sortir de la logique d’appropriation privative, car le financement est présent.

    * Les oeuvres du domaine public : un mouvement de numérisation des œuvres est en cours, mettant en ligne des représentations en très haute définition des œuvres et des peintures du domaine public. C’est une logique de « copie-fraude » des institutions qui décident de s’arroger une couche de droits additionnels supplémentaires sur la valorisation du patrimoine, alors qu’il n’existe aucune justification juridique, il s’agit seulement de la volonté contractuelle de réduire le domaine public.

    * Si les barrières contractuelles continuent à être mises en place, un problème persiste avec le patrimoine public natif. Le natif recouvre les œuvres qui n’ont pas d’instanciation matérielle, qui sont directement numériques. Si on ne peut l’archiver et le conserver, il y a le risque de ne pas avoir de domaine public numérisé commun dans cinquante ans. La numérisation n’est pas un travail transformatif supplémentaire valorisant l’oeuvre, mais elle se traduit par un contrat non négocié entre l’institution et le monde avec des conditions d’utilisation imposées au public. L’exemple de la Déclaration franco-allemande en avril 2015 l’atteste à nouveau : il n’est pas question d’ouvrir aux licences permettant de partager avec le public, le droit d’auteur protège les auteurs. La possibilité du partage n’est jamais mise en avant.

    * Publications et données scientifiques : des incitations ont été mises en place (mandats et obligations comme l’évaluation par les universités seulement sur les articles des chercheurs déposés sur Internet). La Commission européenne a également mis en place des subventions contre partage des données. Le partage demeure optionnel, même dans les collaborations pair-à-pair. La première raison pratique relevée est celle du travail supplémentaire car les données doivent être nettoyées, présentées et un site doit être mis en place.

    En améliorant les outils à notre portée, est-il possible de gérer la situation par une approche modeste réformiste ?

    • Améliorer les dispositifs de licence et de partage pour éviter une sur-appropriation. Pour construire un commun solide, il faut certifier qu’il n’y aura pas de problème juridique.
    • Quelles sont les plateformes que l’ont peut créer pour faciliter la production de biens communs ? Architectures distribuées, plateformes pour aider au travail des communautés qui produisent des communs.
    • Développement d’alternatives techniques à l’internet lui-même, qui créé toute une série de menaces (appropriation, destruction, …) avec les réseaux wifi communautaires locaux.

    Appliquer la logique du design de toutes ces initiatives locales distribuées au droit lui- même. Le droit lui-même peut-il être conçu et pris comme un commun co-défini par différentes communautés ? Les ressources informationnelles, naturelles et de la connaissance gouvernées collectivement par des communautés d’utilisateurs plutôt que par la puissance publique peuvent être vues comme un commun.

    1 Ce texte reprend l’exposé oral présenté par Mélanie Dulong de Rosnay au séminaire « Les communs, l’Etat et le marché comme système » du 10 avril 2015.