• « Evolution d’un oasis du sud marocain entre mondialisation et régulation étatique, Décryptage à partir de la notion de communs »

    Didier Christin, Sol et Civilisation 1

    L‘ancrage théorique et pratique de cet exposé reprend l’approche patrimoniale de Henry Ollagnon à propos des relations des hommes par rapport au vivant. La question clé est celle d’une implication active des hommes continue, volontaire, efficace et coordonnée, qui devient envahissante. Il s’agit de s’interroger sur les caractéristiques d’institutions et d’acteurs orientés vers la recherche du bien commun. Des éléments de réponse proviennent de recherches autour de l’oasis de Tinghir.

    Présentation de l’oasis de Tinghir

    Le système oasien se trouve aux confins des Etats. Le mot berbère signifie « homme libre » ou « rebelle ». Les principales caractéristiques sont le nomadisme avec la circulation de biens en suivant les oasis, le pastoralisme et la transhumance saisonnière, ainsi que l’agriculture et la sédentarisation autour de l’oasis. L’oasis est un espace anthropisé et irrigué qui supporte une agriculture intensive. Il est organisé en trois strates : les palmiers, les arbres fruitiers, les céréales et légumes. La micro propriété est associée à une répartition micro parcellaire (6 à 7 parcelles par famille). 70 000 habitants environ gravitent autour de l’oasis qui est basé sur quatre systèmes de mobilisation des ressources hydrauliques.

    Grandes lignes de la gestion de l’oasis au fil des siècles

    Des règles de gestion ont été négociées : l’eau est un bien privé appartenant à une tribu. Il existe des obligations d’entretien, des amendes, une interdiction de vendre les terres en dehors de la tribu sauf mise aux enchères à la criée des parcelles.

    Une gouvernance est également établie : une assemblée réunissant les notables de la tribu, qui sont cooptés selon leur influence est l’organe délibératif et assure l’exécution des décisions par un organe unipersonnel.

    Les huit principes fondamentaux de la « Common pool resource theory » selon Ostrom pour la création et le maintien de la ressource commune sont appliqués : des limites nettement définies, les règles sont adaptées aux besoins et conditions, un système gradué de sanctions est mis en place, ainsi que une gouvernance effective et redevable à la communauté et un système peu coûteux de résolution des conflits, …

    L’oasis est un commun communautaire, autarcique et sous contrainte. La civilisation oasienne est une réalité complexe, l’existence de l’oasis se fait par interaction fine entre l’homme et l’environnement.

    L’accès est réservé aux membres des tribus, une forte mortalité naturelle, un faible indice de développement humain, une gestion sous contraintes naturelles et sociales, la présence de guerres de l’eau et d’une société de castes sont les caractéristiques principales de l’oasis. L’implication, réelle, de la population dans la gestion de l’oasis est-elle finalement durable et bien souhaitable ?

    Le protectorat (1912-1956) : gestion coutumière et doses de modernité

    Il s’agit d’un mariage assez réussi entre la gestion communautaire, le marché et l’Etat. Un comportement et des qualités complexes, des valeurs universelles, des modes de pensée et d’action rationnels, une amélioration des conditions de vie, et l’intervention de l’armée apparaissent.

    L’eau devient domaniale, avec la réalisation de quelques équipements modernes et la réorganisation sociale et politique par la création de neuf fractions, le lancement de programme d’étude et de recherches pour une meilleure connaissance du potentiel hydraulique de la vallée (injection science et expertise). La coopération avec l’Etat aboutit à l’organisation d’entités territoriales ainsi que la libéralisation de l’accès au foncier, la multiplication des échanges mondiaux par bateaux, la diminution du nomadisme, l’exode rural vers les villes et l’amélioration des conditions de vie.

    L’oasis aujourd’hui

    Les oasis sont condamnés à mort dans les conditions actuelles du fait de la dégradation des sols par érosion, salinisation, désertification, et des effets de croissance de la démographie. Trois types d’agricultures coexistent aujourd’hui : de subsistance, périurbaine et entrepreneuriale.

    L’Etat et le marché déstructurent involontairement la capacité des acteurs à être pilotes dans la gestion de l’oasis. Un apport de réponses pour impliquer à nouveau les acteurs est en cours : les associations et les élus tentent de sauvegarder les oasis par des labels, l’éco tourisme, … La gestion rationnelle du marché se focalise sur la modernisation : il s’agit d’améliorer les rendements, établir des monocultures, mettre en place une irrigation au goutte à goutte. Certains acteurs se trouvent dans un blocage entre tradition et modernité.

    Trois états pseudo stables se sont mis en place : l’urbanisation, le désert et l’agriculture de marché. Une société individuelle est en cours d’apparition, faisant disparaître un rapport humain dense et déconnecté de notre urbanité et aboutissant à des ressources taries à moyen terme. Il s’agit de la fin d’une civilisation, d’un rapport à l’autre et à la nature, ce dernier devenant utilitariste, normé et sec.

    Le commun dans une société démocratique de marché

    Il est impossible de revenir au statut ante. Il convient de passer d’une implication active subie et contrainte à une solidarité voulue et désirée, de faire du commun moderne. Selon l’approche patrimoniale, il convient de se doter de structures vulnérables au désengagement pour susciter l’engagement. Au cœur du commun réside l’engagement libre et volontaire. Trois risques d’éclatement existent toutefois du fait de l’action de l’Etat, du marché et de la dérive communautaire.

    Une « spatialisation » des modes de prise en charge

    L’Etat est adapté pour faire du collectif (macro), le marché pour satisfaire les besoins individuels (micro) et le commun s’épanouit dans une certaine proximité, une connaissance physique et biologique des phénomènes en jeu (méso). Chaque niveau doit avoir une capacité d’agir. L’Etat et le marché ont peu de capacité à susciter et à favoriser l’action en commun.Le niveau macro est celui des politiques publiques et de la prise en compte de l’intérêt général. La démocratie participative s’exprime en termes de collectif et non de commun. Il s’agit de décider ensemble par une technocratie éclairée et non d’agir ensemble.

    Un problème du point de vue de l’organisation des individus au niveau communautaire se pose, du fait d’une difficulté à associer les personnes au commun du fait de stratégies très individuelles. D’où le problème de faire vivre le commun, car le niveau méso n’existe pas. Nous sommes confrontés à une incapacité à structurer.

    1 Ce texte reprend l’exposé oral présenté par Didier Christin au séminaire « Les communs, l’Etat et le marché comme système » du 27 février 2015.