•  « Le déploiement de la redevance poids lourds en Suisse, entre communs, Etat et marché »

    Romain Ferrari – Fondation 2019 1

    L‘économie est le système d’informations des activités économiques. Etymologiquement, elle est l’outil devant gérer la maison. Cette maison étant la terre, force est de constater que ce sens semble perdu ! Pour analyser les dérives de notre système économique, il s’agit de comprendre quelles sont les lacunes du système économique en tant que système d’information.

    La première concerne les flux, la deuxième la gestion des stocks (ou des actifs).

    • Les flux ou les externalités transactionnelles

    La première de ces disjonctions revient à légitimer les ventes à pertes puisque le prix de vente final des produits et services est systématiquement inférieur aux coûts de productions, externalités comprises. Rappelons qu’une vente à perte constitue un délit car elle fausse les règles de libre concurrence.

    Aujourd’hui, les quelques offres de produits et services responsables, à faibles externalités négatives, mais souvent plus chères en apparence que le prix de marché, qui ont réussi à émerger souffrent d’une situation de concurrence déloyale face aux offres à fortes externalités négatives et empêchent tout développement au-delà de quelques marchés « niche ».

    Ces flux d’externalités négatives se reportent sur les collectivités sous forme de préjudices subis (santé, pollution, mal-être, …). La collectivité assume les externalités, les prélèvements augmentent et donc le pouvoir d’achat diminue, c’est un cercle vicieux. Par exemple, la filière lait génère 25 milliards d’euros de chiffre d’affaires par an et 7 milliards d’euros d’externalités.

    Parmi les solutions possibles, une modulation de la TVA en fonction du niveau d’externalités aurait de multiples avantages : ne pas reporter systématiquement le surcoût d’une offre responsable sur le consommateur, celui-ci paierait in fine quasiment le même prix (voire moins) ; permettre enfin à une offre responsable d’échapper à la concurrence déloyale des offres « peu responsables » ; faire supporter l’ensemble des coûts d’évaluation aux producteurs ; diminuer les dépenses publiques ouvrant ainsi la voie à une diminution de la pression fiscale sur ces transactions ; et permettre aux institutions de prendre la maîtrise des règles du processus.

    • Les stocks ou l’absence de prise en compte des actifs naturels et sociaux

    La deuxième de ces disjonctions revient à négliger systématiquement sur le long terme le développement voire la simple conservation du capital environnemental et social. Notons que l’objectif de conservation du capital technique (ou actifs) constitue un des fondements de la comptabilité moderne en coûts historiques … Elle a été introduite vers la fin du 19ème siècle !

    Ce sont aujourd’hui principalement les collectivités, territoriales et nationales, qui tentent sans pouvoir y arriver de compenser ces pertes par une charge «d’amortissement » externe continue. (A-mort-issement au sens d’éviter la disparition).

    Parmi les solutions possibles, une comptabilité environnementale devrait permettre la conservation du capital naturel : « la nature n’a pas de prix, mais sa maintenance a un coût ». Dans quelle mesure la nature et le social appartiennent-ils à la société ? Les coûts dégradant les conditions de développement de la société peuvent être vus en parallèle de la dégradation des conditions de production d’une entreprise. La dégradation de l’environnement et des relations sociales a un impact sur l’économie : pourquoi ne pas l’intégrer ? L’économie n’est pas basée sur la finitude et la rareté des biens communs, le problème est de passer de l’infini au fini concernant la nature. C’est la question de la contrainte liée à l’acceptation de la finitude. L’artificialisation de la relation au vivant n’a pas permis d’anticiper une telle contrainte.

    • La mise en place de la RPLP en Suisse

    Pour qu’une décision publique soit efficace, elle doit être basée sur une légalité forte et une légitimité incontestable qui facilite son déploiement. La légitimité est longue à construire, elle implique un dialogue avec les parties prenantes aux opinions diverses, voire opposées. Les externalités sont des outils efficaces pour faire converger les échanges entre des personnes qui ne partagent pas les mêmes valeurs : nourrir les échanges dans le domaine de l’objectivité. Faire converger les discussions sur des ordres de grandeur évalués, relativiser les enjeux face aux risques, tendre vers des analyses coûts bénéfices « aux coûts complets ».

    Le calcul initial du tarif de la redevance se base sur la détermination des prestations kilométriques et la prise en compte de la tonne-kilomètre. La monétarisation permet de calculer finement le préjudice et de négocier les ristournes accordées. Le processus a été mis en œuvre en 2001. L’argent perçu sert directement à développer des infrastructures alternatives sur le principe du double dividende – « si je prélève, j’améliore ». Tous les trois ans, la comptabilité des externalités est calculée et publiée. La hausse des externalités a été maîtrisée. Il s’agit d’un processus technocratique, mais il a facilité négociation. Sans précautions, la monétarisation peut conduire à des processus diaboliques, tout dépend du pilotage ! Mettre un prix sur la nature peut être refusé à juste titres mais associer des coûts à des pertes de services éco systémiques est plus crédible.

    Certes, ces calculs poussés ne remplaceront jamais le temps de la discussion et n’apporteront que des éléments partiels d’objectivité. Mais à défaut de ces repères, c’est la dimension subjective qui tend à mobiliser l’ensemble du processus, au risque de crisper un dialogue tellement nécessaire. Il existe des écarts avec le modèle français : processus participatif, terrain neutre, réinjection de prélèvements pour réduire les dommages, transparence, calcul et publication. C’est une organisation qui rend désirable la protection d’un bien commun.

    1 Ce texte reprend l’exposé oral présenté par Romain Ferrari au séminaire « Les communs, l’Etat et le marché comme système » du 27 février 2015.